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8 octobre 2006 7 08 /10 /octobre /2006 17:42

La presse se fait régulièrement l'écho des débats qui traversent les socités occidentales quant aux méthodes à adopter, ou à rejeter, face au terrorisme ; débat récemment attisé par la volonté de l’administration américaine de légiférer en la matière. Ces débats doivent susciter la reconnaissance pour ceux qui les portent, mais ne pas occulter toutes les dimensions du sujet.

Reconnaissance parce que le débat concernant la protection des droits des supposés terroristes illustre le stupéfiant et délicieux paradoxe des démocraties : honnies, vitupérées, attaquées, ébranlées, nos sociétés continuent de s’interroger sur elles-mêmes, sur leurs choix, leurs valeurs, et font la part belle à l’introspection, quand ce n’est pas à l’auto-dénigrement. Et il faut s’en féliciter : l’arme la plus puissante et la plus redoutable des démocraties (adossée, s’entend, à des armées modernes, suréquipées et aguerries), c’est leur mode de vie, fondé pour une grande part sur la liberté d’expression. La dictature c’est « Ferme ta gueule » et la démocratie « Cause toujours », dit-on parfois. Peut-être… sans doute même… mais ce n’est déjà pas si mal de causer, surtout par les temps qui courent… On n’évaluera peut-être jamais la part qu’ont prise les images de nos sociétés décadentes et rieuses dans la chute de l’empire soviétique : toutes à la fois jouisseuses, morfondues d’une mélancolie d’enfant gâté, et incorrigiblement volubiles quant à elles-mêmes, elles ont suscité une envie dont aucune propagande n’a pu venir à bout. Qui donnait cher, pourtant, de nos peaux de démocrates ventripotents face à la démultiplication des relais internes de la propagande du KGB, aux succès militaires et diplomatiques de l’empire des vieillards ?

Pourtant, de même que durant la Révolution française Saint-Just se demandait s’il ne fallait pas priver de liberté les ennemis de la liberté, on doit s’astreindre aujourd’hui à affronter cette terrible question à laquelle nos ennemis nous contraignent de faire face : jusqu’à quel point faut-il limiter les droits de ceux qui luttent contre nos droits ? Cette interrogation n’est pas exceptionnelle, contrairement à ce qu’on lit et l’on entend beaucoup, elle forme même le bruit de fond de notre vie quotidienne. Les règles qui régissent le fonctionnement de nos sociétés démocratiques, et en décrivent les modalités de sanction en cas de non-respect, ne dressent pas la liste des options du Tout-ou-Rien, elles cartographient bien au contraire la gradation des peines en fonction des fautes, des délits ou des crimes. Plus encore, elles rappellent expressément les conditions nécessaires pour que la liberté et l’intégrité d’un individu soient entravées.

Interdiction de conduire ; interdiction de voter ; interdiction de se rendre dans telle ville ; interdiction d’exercer certain type de métier ; interdiction de voir ses propres enfants ; de gérer son argent ; etc. Dérives liberticides de quelque régime totalitaire ? Non, jugements ordinaires prononcés ordinairement dans les tribunaux de notre pays. Et la garde à vue alors ? Qu’est-ce donc sinon soumettre un innocent à une pression psychologique et physique pour obtenir qu’il dise ce qu’il ne dirait pas autrement ? Privation de sommeil, inconfort, brutalité psychologique, harcèlement, répétition inlassable des questions… Ce sont bien-là de mauvais traitements infligés au nom du droit, d’un droit voté par nos représentants élus.

Au nom de quoi dès lors devrait-on s’interdire de réfléchir aux modalités de pression à exercer sur des militaires d’un genre nouveau ? Qui mènent un conflit sans lieu, sans durée et sans règles définis, exclusivement – ou presque – tourné contre des populations civiles, en violation de toutes les règles de la guerre pourtant brandies par ceux qui cherchent à défendre leurs droits. Parce que cela serait de la torture ? Il n’y aurait rien dès lors entre ne rien faire et torturer ? Soumettre un prisonnier à une quelconque pression ne pourrait être que de la torture quelle que soit l’intensité et la nature de la dite pression ? Aucune différence, donc, entre brutalité, mauvais traitements et torture ? Enfin ! Un peu de franchise ! Quel est l’homme qui pourrait affirmer ne pas voir pas de différence entre la privation de sommeil et des décharges électriques sur les testicules ? Entre être traîné en laisse ou avoir les ongles arrachés ? Quelle est la femme qui mettrait sur le même plan le fait d’être exposée à une musique stridente prolongée ou d’être violée par un chien ?

Ce n’est pas tourner le dos à ses valeurs que d’évaluer dans quelle circonstance extraordinaire et dans quelle mesure on peut y déroger. Après tout, c’est le cas de la guerre : en temps normal tuer un être humain est interdit, c’est pourtant autorisé pendant une guerre. Dérogation, donc, à un principe. Dans Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola, le héros ironise sur le fait qu’enquêter sur un assassinat pendant une guerre est aussi malvenu que réprimer les excès de vitesse durant une course automobile. Et bien il a tort : les militaires en tant de guerre n’ont pas tous les droits, ils disposent d’une licence de transgression de nos règles communes mais pas d’une autorisation générale et absolue de le faire. Ce sont les règles d’engagement qui définissent les conditions du déclenchement du combat et, durant ce dernier, l’échelle des réponses à apporter ; ne pas les respecter peut conduire un militaire à en rendre compte devant un tribunal. De même, si un militaire a le droit de tuer un ennemi – en temps de guerre mais pas en temps de paix – il rendra compte d’un meurtre crapuleux, même en temps de guerre.

Poser ces questions, en débattre, fixer des règles, c’est justement éviter que nos sociétés ne basculent insidieusement dans la perte progressive de ce qui fait leur substance, leur identité, alors que c’est précisément là l’un des objectifs de nos ennemis. C’est aussi, à l’inverse, autoriser ceux qui nous défendent, qui – tout de même ! – risquent leur vie ce faisant, à continuer de le faire sans encourir de sanctions légales ou, pis encore, l’opprobre des sociétés qu’ils ont la lourde charge de protéger.

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