L'un des arguments invoqués pour villipender les appels du pied répétés de Nicolas Sarkozy aux électeurs du Front national est que Jacques Chirac, lui, se serait toujours gardé de toute compromission avec le parti de Jean-Marie Le Pen. Outre que cette affirmation n'est pas tout à fait exacte (il est historiquement attesté désormais qu'il a rencontré Jean-Marie Le Pen à plusieurs reprises dans des périodes électorales), il faut rappeller que la présence du président du Front national au 2ème tour de l'élection présidentielle de 2002 l'a dispensé des arrangements nécessaires sans lesquels il n'aurait pas pu être réélu.
Si l'on écarte les voix qui se sont portées sur Jean Saint-Josse, parce qu'il est impossible de les classer à droite ou à gauche, les résultats du 1er tour de l'élection présidentielle de 2002 sont édifiants. La gauche (Gluckstein, Taubira, Mamère, Jospin, Hue, Chevènement, Laguiller, Besancenot) a recueilli 12,2 millions de voix ; la droite (Mégret, Lepage, Bayrou, Chirac, Le Pen, Boutin, Madelin) en a obtenu 15 millions.
Or, sans les suffrages obtenus par Le Pen, le score de la droite se porte à 10,2 millions de voix, soit un réservoir de voix inférieur de 2 millions à celui de la gauche. Dans ces conditions, la simple arithmétique électorale indique qu'affronté à un candidat républicain au 2ème tour de la présidentielle de 2002, Jacques Chirac aurait dû faire en sorte de capter une part importante des voix du Front national pour être élu.
Napoléon disait que les grands hommes politiques étaient rares parce qu'il faut faire preuve de bassesse pour conquérir le pouvoir et de grandeur pour l'exercer, et que rares sont les hommes qui ont en eux à la fois de la bassesse et de la grandeur. Nicolas Sarkozy ne peut être élu sans les voix qui se portent habituellement sur le Front national ; toute la question est de savoir si c'est lui qui ramènera ces électeurs vers des positions républicaines ou si ce sont ces derniers qui vont le tirer vers l'extrême-droite. Comme le disait Edouard Herriot, ancien maire de Lyon : "La politique, c'est comme l'andouillette : ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop".