Les quelques jours de villégiature passés par Nicolas Sarkozy à Malte juste après son élection, ainsi que la polémique qu'ils ont suscitée, sont très singuliers. Il est incontestablement troublant qu'un candidat qui s'est fait le chantre du travail, de l'effort, de son lien presque charnel avec le peuple laborieux, inaugure son mandat par des vacances de magnat du pétrole.
On pourrait avancer que c'est une bourde, que le nouveau président refuse d'admettre une fois revenu. D'un autre coté, ce président a fait preuve d'une telle maestria dans la conduite de sa campagne électorale qu'il est difficile de croire qu'une fois élu son attitude et ses propos relèvent du hasard. Peut-être s'agit-il d'un message qu'il entend délivrer, comme une préfiguration de son mandat. On peut imaginer qu'il cherche à bâtir une image de lui à l'instar des légendes passées, comme une sorte de Kennedy européen à qui tout réussit... On peut tout aussi bien avancer qu'il délivre un message politique aux Français : "Enrichissez-vous !" Faites comme moi, comme ceux que je fréquente : travaillez dur et vous serez récompensés.
"Enrichissez-vous !" est le mot prêté à Guizot, chef du gouvernement français au milieu du XIXème siècle, reprenant à son compte l'antienne de la bourgeoisie de l'époque, aspirant à une richesse qui tourne le dos à la spéculation, le vol ou les trafics, pour être exclusivement bâtie sur l'effort. L'expression ne peut que faire penser à la phrase de Max Weber : " Si Dieu vous désigne tel chemin dans lequel vous puissiez légalement gagner plus que dans tel autre (cela sans dommage pour votre âme ni pour celle d'autrui) et que vous refusiez le plus profitable pour choisir le chemin qui l'est moins, vous contrecarrez l'une des fins de votre vocation, vous refusez de vous faire l'intendant de Dieu et d'accepter ses dons, et de les employer à son service s'il vient à l'exiger. Travaillez donc à être riches pour Dieu, non pour la chair et le pêché."
Le problème est que ce message-là est celui du protestantisme : Guizot était protestant et la citation de Max Weber est tirée de son ouvrage L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme. On retrouve bien ici la relation libérée des anglo-saxons à l'argent, qui contraste singulièrement avec l'hypocrisie catholique sur le sujet. C'est d'autant plus étonnant venant de la part d'un candidat élu par une nation longtemps considérée comme la fille aînée de l'Eglise.