La séquence électorale, qui vient de s'achever avec le second tour des élections législatives, a été l'occasion de voir se répandre la crainte de l'élimination de tout contre-pouvoirs en France si une trop forte majorité UMP se dégageait à la chambre basse.
Cet argument à de quoi surprendre dans la mesure où le problème de la France semble être davantage l'excès que la carence de contre-pouvoirs. La presse, certes, n'en fait pas ou peu office dans notre pays. Contrairement à la plupart des pays développés comparables, les médias français sont pro-cycliques, s'inscrivant dans une communauté de gestion avec le pouvoir en place - attitude sans doute expliquée par la promiscuité entretenue entre les deux mondes.
En revanche, d'autres contre-pouvoirs, puissants et organisés, existent en France alors qu'on n'observe pas une telle configuration ailleurs. Les organisations syndicales - "ouvrières" ou étudiantes - forment ainsi une force qu'aucun gouvernement ne peut mésestimer : pour avoir voulu le faire, Dominique de Villepin à obéré toutes ses chances dans la course présidentielle. Si la presse est ordinairement qualifiée de "4ème pouvoir", pour faire pendant aux trois premiers (législatif, exécutif, judiciaire), alors les syndicats forment un 5ème pouvoir en France.
En 1995, à peine nommé par le président nouvellement élu, le gouvernement Juppé s'est fracassé sur les grandes grèves de l'automne, lui interdisant de faire adopter la réforme des régimes spéciaux de retraite. Nul doute que, dans une situation comparable - pour ne pas dire identique - Nicolas Sarkozy fasse preuve de la plus extrême prudence avant que d'exciper de sa légitimité fraîchement acquise pour faire adopter des réformes qui heurteraient le 5ème pouvoir. Après sa campagne tonitruante, la prudence - la pusillanimité presque - avec laquelle il tente de convaincre du bien-fondé de ses propositions de réformes atteste de l'existence d'un contre-pouvoir puissant, bien au-delà des chiffres d'affiliation syndicale : le 5ème pouvoir.
Autre contre-pouvoir, le pouvoir économique, le 6ème pouvoir. L'insuffisance de titres de journaux, d'actionnaires de presse, la consanguinité des conseils d'administration, la porosité entre monde économique et monde administratif (l'ENA est considérée par beaucoup comme une Business School à l'anglo-saxonne), tout concourt à donner aux grands dirigeants économiques français une maîtrise des médias sans doute sans équivalent dans le monde occidental.
L'existence de contre-pouvoirs est consubstantielle de la démocratie. Pour reprendre l'aphorisme célèbre de Montesquieu : "Seul le pouvoir arrête le pouvoir." Dit autrement, il est stérile de compter sur les vertus personnelles pour dissuader d'abuser d'un pouvoir, tant l'attrait est grand de le faire. A l'inverse, une présence omnipotente des contre-pouvoirs finit par vider de sens le processus démocratique : à quoi bon désigner des représentants à la majorité si des minorités agissantes peuvent faire en sorte que le programme sur lequel l'équipe nouvellement élue s'est fait désigner est inapplicable ? Il en va ainsi de la réforme Juppé sur les régimes spéciaux de retraite, de la réforme de la gouvernance des universités du gouvernement Fillon, comme de la réforme de l'Ecole libre du gouvernement Mauroy.