Les compliments qui accompagnent le décès de Monseigneur Lustiger s'expliquent sans nul doute par sa personnalité exceptionnelle et son rang dans l'Eglise catholique. Ils viennent aussi pour beaucoup du fait qu'il est né juif et s'est toujours déclaré comme tel, y compris au faîte de sa carrière ecclésiastique.
Ce dernier point fait de lui non pas une exception singulière au regard du dogme catholique mais l'accomplissement du parcours recommandé à chaque Juif par l'Eglise. Le christianisme est issu du judaïsme, à l'origine il n'en est qu'une composante. En plein essor, cette nouvelle religion a voulu s'affranchir de cette tutelle en proclamant que le judaïsme n'avait plus de raison d'être puisque désormais transformé en christianisme. C'est ce que Léon Poliakov décrivait dans son aphorisme : "L'origine de la haine, c'est la haine de l'origine." La haine envers les Juifs provient moins de l'accusation de déicide que du désir d'effacer l'origine juive du catholicisme.
Le prosélytisme catholique s'adressa donc prioritairement aux Juifs, par la force le plus souvent : la conversion ou la mort, comme pour effacer le péché originel du catholicisme. D'où l'ambiguité de la phrase de Jean-Paul II à l'adresse des Juifs : "Vous êtes nos frères ainés, nos frères aimés." Cette filiation pourrait tout aussi bien signifier que le judaïsme est une branche morte du catholicisme.
C'est à cette aune qu'il faut juger le positionnement de Jean-Marie Lustiger, son action pour le rapprochement entre judaïsme et catholicisme, l'hommage quasi national qui lui est rendu. Devenir catholique sans cesser d'être juif c'est au fond l'incitation séculière de l'Eglise à l'endroit des Juifs : abjurez votre foi puisqu'elle n'a plus de raison d'être. Le messie dont vous attendiez l'arrivée est enfin venu : c'est le Christ. Ce qu'on reproche religieusement aux Juifs, c'est justement de maintenir que le messie n'est pas arrivé, de refuser de voir en Jésus le messie des Juifs.
Jean-Marie Lustiger demeure un homme exceptionnel ; l'ambiguité de son positionnement religieux ne se dément pas pour autant.