Le débat relancé par le rapport de Daniel Vaillant recommandant la légalisation du canabis n'est ni indigne ni incongru. Les arguments avancés par les partisans et les opposants de la légalisation sont à prendre en compte parce qu'ils sont souvent pertinents, même s'ils activent puissamment le clivage droite/gauche en suscitant chez les uns le désir presque réflexif d'autoriser ce qui est interdit et, chez les autres, d'interdire ce qui contrevient aux bonnes moeurs.
Ce débat n'est pas récent, Francis Caballero, avocat, avait déjà avancé l'ensemble des éléments contenus dans le rapport Vaillant et les avaient formalisés dans un ouvrage paru en 1989 aux éditions Dalloz sous le titre : " Droit de la drogue ". L'argument de fond des partisans de la légalisation est que, à l'instar de la prohibition de l'alcool aux Etats-Unis, la pénalisation de la culture et de la consommation du canabis n'empêche en rien son usage mais n'a comme effet que de susciter une délinquance massive autour de son trafic. Cette idée n'est pas à écarter d'un revers de la main, elle a son sens et sa pertinence. Sans aucun doute, c'est bien parce que l'usage du canabis est interdit que ce dernier a un niveau de prix qui rend extrêment rentable son exploitation illicite ; dépénalisé, le canabis devrait devenir abondant et libre, et par conséquent son prix baisser, entraînant l'éradication des mafias qui en vivent.
Inversement, les arguments des contempteurs de la légalisation sont tout aussi pertinents, notamment le risque de développement de la consommation en contradiction avec les préoccupations de santé publique, et le besoin de transgression qui se reporterait sur d'autres stupéfiants.
Le point qui n'est pas pris en compte jusqu'à maintenant dans ce débat est la structure de marché des stupéfiants. Il n'est pas judicieux - en l'état actuel du débat - de prendre exemple sur les marchés du tabac et de l'alcool pour essayer de démontrer que la légalisation du canabis banaliserait sa consommation à l'image de ces deux types de produits en vente libre. La grande différence vient du choix intégral des produits tabagiques et alcoolisés. Tout consommateur a à sa disposition l'ensemble de la gamme existante, et pas un produit unique. Entrer dans un bureau de tabac c'est avoir en un regard tout ce qui peut être fumé ; se rendre dans n'importe supermarché permet de voir s'étaler sur d'immenses rayonnages tout ce qui peut être bu.
Par conséquent, légaliser un seul stupéfiant pourrait aboutir à reporter sur d'autres produits les dérives actuellement dénoncées s'agissant du canabis. Tout particulièrement, les mafias et les bandes qui vivent du trafic de canabis sont des entreprises parfaitement structurées d'approvisionnement, de revente et de distribution. Il serait fort surprenant qu'un marché s'effondrant, elles ne se comportent pas comme des entreprises traditionnelles en se reportant sur des produits plus porteurs qu'elles s'appliqueraient à faire connaître et à promouvoir auprès des consommateurs de canabis.
Au surplus, rien ne dit que la fixation du niveau des prix du canabis ne finirait pas par susciter une contrebande : les campagnes de santé publique qui visent le tabac l'intégreraient et jouerait donc sur le prix, l'un des rares éléments dissuasif pour les consommateurs.
Au final il est à se demander si le vrai débat n'est pas celui - à l'image de celui qui a affecté la consommation de tabac et d'alcool - qui concerne la légalisation de l'ensemble des stupéfiants.