Qu'est ce qui relève de l'humour et qu'est ce qui n'en relève pas ? La décision du ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, de faire étudier par ses services les modalités pratiques d'une interdiction des spectacles de Dieudonné vient soulever - une nouvelle fois - cette question particulièrement épineuse.
Le métier des humoristes est par définition de tangenter les notions de bon goût et de convenance, d'en faire frissonner leurs spectateurs, de faire rire de ce que la bonne éducation préfère passer sous silence : tics de langage, lapsus, situations dramatiques, etc.
En quoi donc les propos et les gestes de Dieudonné seraient-ils plus outrageants et ne seraient plus de l'humour ?
En ce que, tout bonnement et à l'instar des propos infamants tenus à l'endroit de Christiane Taubira la comparant à un singe, ils déshumanisent leur sujet.
Comparer une personne noire à un singe c'est lui ôter son statut d'être humain et, partant, la priver des droits afférents. C'est parce qu'il a été prétendu que les noirs n'étaient pas des êtres humains qu'il a été si commode moralement d'en faire la traite, de les marquer au fer rouge comme du bétail, les faire travailler comme des bêtes. L'esclavage, c'était - et, hélas, c'est encore - dénier à la victime son rang d'être humain.
S'agissant des Juifs, la déshumanisation consiste à les assimiler à un virus, un micro-organisme invisible qui, sans qu'on en ait conscience avant que les symptômes du mal apparaîssent, se reproduit dans le corps de l'hôte, se multiplie et s'en repaît. Cette "théorie" de la conspiration mondiale, un des piliers de l'antisémitisme, traverse les siècles et s'exprime par des textes ou des images : le "Protocole des sages de Sion", un faux décrivant les modalité de cette soi-disant conspiration, la vulgate nazie qui - évoquant les territoires d'où les Juifs avaient été déportés - les qualifiait de "Judenfrei", propres de Juifs, comme décontaminés, purifiés d'une maladie... Plus près de nous, dans une conjonction entre antisionisme et antisémistisme, la comparaison de l'Etat d'Israël avec un cancer, proliférant sur la région, absorbant des territoires et - à l'instar du cancer qui métamorphose de façon mortifère les cellules alentour - modifiant irrémédialement l'environnement ainsi affecté. Dès lors ques les Juifs sont considérés comme des microbes, pourquoi s'offusquer qu'ils se voient appliquer la même prophylaxie ?
Si "l'humour" de Dieudonné n'est pas de l'humour c'est que ses propos - sur scène ou dans l'arène politique quand il se présente à des élections - déshumanisent ceux qui en sont les sujets. Dire d'un journaliste que Dieudonné déteste : "
Tu vois, lui, si le vent tourne, je ne suis pas sûr qu’il ait le temps de faire sa valise. Quand je l’entends parler, Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambres à gaz... Dommage", c'est regretter sans ambage que la "désinfection" appliquée aux Juifs par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale n'ait pas porté ses fruits.