On dit que la peur du vide peut à ce point être insupportable que certaines de ses victimes préfèrent sauter dans l'abîme plutôt que de supporter la peur d'y tomber.
L'évolution de la presse payante semble être marquée par ce tropisme de la chute. Plus cela va, plus la différence entre la presse payante et la presse gratuite semble se résumer au prix du journal que l'on achète. Le Monde a modifié son concept éditorial dans le sens d'articles plus courts, d'un champ plus limité, d'une dimension internationale moins marquée. Libération, empêtré dans son énième plan de redressement, propose à ses lecteurs un panorama d'informations dont la brièveté s'apparente à celle de la presse gratuite. Or il faut aujourd'hui débourser entre 1,20 € et 1,30 € pour pouvoir lire un titre de la presse nationale - soit entre 7,90 et 8,50 francs. Par surcroît, la publicité y est désormais devenue envahissante : c'est par pleines pages, souvent par doubles pages, que les marques communiquent avec des lecteurs qui ont déjà payé leur journal.
Comment s'étonner dans ces conditions que la presse française connaisse des difficultés si importantes, fondées en particulier sur l'étroitesse de son lectorat et la précarité de son modèle économique ? Et si, au fond, c'était simplement la qualité et la quantité qui manquaient à la presse française ? Le volume de nos journaux est d'une maigreur insigne comparé à celui de tous les autres grands journaux des pays développés. Quant au fond, si l'on prend l'exemple de Libération, force est de constater que ses difficultés ont été de pair avec la baisse de sa qualité. Il y a dix ou quinze ans, Libé se comparait aisément avec Le Monde ; aujourd'hui, il faut faire un effort d'empathie pour lui trouver une différence notable avec les gratuits.